INTERVIEW – David Heinry est spécialiste des problématiques de concertation sur les grands projets d’infrastructures au sein du cabinet Alter & Go, qu’il dirige.
Recourir à un référendum, est-ce la bonne méthode ?
Pas de mon point de vue. Ce n’est pas dans la culture française. On provoque une sorte d’élan binaire, sans nuance, en demandant de répondre soit par « oui », soit par « non ». Aucune place n’est laissée aux propositions ou aux alternatives qui peuvent enrichir le débat. Je crains donc que ce référendum n’amplifie le clivage déjà fort autour de ce projet. Ce n’est franchement pas indiqué dans la situation actuelle, où il y a un vrai déficit d’échanges. Si tout semble déjà ficelé, ce n’est plus de la concertation, mais de la communication. Du coup, soit on adhère au projet, soit on s’y oppose. C’est très regrettable car, sur place, les gens ont bien souvent conscience que certaines infrastructures sont nécessaires. Ils ont compris qu’elles peuvent aussi être un vrai levier de développement. Mais, en même temps, ils ont besoin de savoir qu’ils peuvent peser sur la décision.
Comment sortir de l’impasse ?
Il est urgent de ne pas poursuivre le clivage. Il faut poser un vrai moratoire. En tant qu’expert des sujets de concertation, je pense que deux ans seraient nécessaires. Il faut prendre le temps de redonner de nouvelles bases à ce projet avec tous les acteurs, rouvrir les champs des possibles avec eux. Aujourd’hui, la majorité des gens n’y comprennent plus rien.
Peut-on encore lancer de grands chantiers en France ?
Oui, mais à condition d’assumer la forte charge émotionnelle dont ils sont souvent porteurs. On met trop souvent en avant leur grande technicité et leur caractère grandiose. Ils font peur. Les gens se sentent écrasés. Il faut rappeler le sens de ces projets, expliciter leur portée locale et pas seulement nationale ou européenne. Il faut amener la population à y réfléchir, définir avec elle les modalités de la concertation et son contenu. Le mieux est de partir d’une idée plutôt que d’un projet fermé et proposer aux gens des modalités de concertation qui permettent de le faire évoluer. Si les choses ne leur apparaissent pas figées, ils vont s’investir. Il y aura même des débats entre eux pour faire évoluer le dossier. Mais cela contribuera à ce que le résultat de la concertation soit respecté, voire enthousiasmant.
Joël Cossardeaux (juin 2016)
Interview à retrouver en ligne : https://www.lesechos.fr/2016/06/david-heinry-le-referendum-risque-damplifier-le-clivage-autour-du-projet-de-notre-dame-des-landes-209689