Accompagner la transformation du paysage : quelle place pour la sensibilité individuelle et collective ?
« Les éoliennes ça détruit le paysage, c’est moche. »Cette phrase, nous l’entendons très régulièrement dans notre métier de consultant en concertation. Mais pourquoi la modification du paysage nous fait cet effet ? Pouvons-nous détruire quelque chose en constante évolution ? Et surtout, c’est quoi LE paysage ?
Le paysage est défini comme « une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations » dans la Convention européenne du paysage en 2000. Il reflète bien plus que notre environnement : il incarne nos valeurs, notre conception de la nature et la place que nous accordons à l’humain. Que voulons-nous préserver, transformer ou abandonner ? Souvent, la réponse à ces questions est réduite à une dimension purement technique. En effet, la tendance est à l’objectivation du paysage : photomontages des projets, dimensionnement de haies pour masquer les champs photovoltaïques, ou calculs stricts des impacts visuels. Pourtant, cette approche technique passe à côté d’une dimension essentielle : la perception subjective du paysage et les émotions qu’il suscite.
Les limites des études actuelles
Dans son article « Sortons la controverse sur l’éolien d’une vision fixiste du paysage », Laure Cormier pointe la difficulté des études à intégrer les représentations sociales du paysage. Les services instructeurs eux-mêmes, faute de temps ou d’outils adaptés, peinent à analyser le paysage autrement qu’à travers des grilles standardisées.
Cette déconnexion nourrit les oppositions locales. Pour les habitants, leur territoire ne se résume pas à une “zone d’implantation potentielle”, comme le définissent les développeurs. Ils le vivent au quotidien, et chaque transformation visuelle peut bouleverser cet équilibre. Les concepteurs des projets, souvent éloignés des réalités locales, risquent alors de réduire ces territoires à une perspective utilitaire et minimiser le changement qu’implique leur projet. Alors, comment dépasser ce conflit de position et de perception ? Comment créer une connexion entre ces porteurs de projets et les habitants ?
Une approche plus inclusive du paysage
La planification du paysage à l’échelle d’un territoire plus large que ce que notre regard embrasse, comme le suggère Laure Cormier, est une piste intéressante pour construire une vision partagée. Toutefois, cette démarche ne doit pas exclure les échelles locales. Le paysage se vit aussi à l’échelle de la commune, ou même de quelques villages. Alors, comment mieux intégrer les perceptions locales dans les projets ?
1. Créer un cadre propice à l’échange
La participation citoyenne, dont l’importance est renforcée par les récentes lois, reste essentielle. Mais pour être fructueuse, elle nécessite une réelle ouverture d’esprit de la part de toutes les parties prenantes. Il ne s’agit pas d’accepter toutes les demandes, mais d’envisager une évolution du projet en fonction des retours locaux et d’être transparent sur ce degré de prise en compte. Le terme de concertation diffère de celui de consultation ou de négociation, comme l’expliquait Hubert Touzard en 2006. Ces difficultés à poser un cadre créent des incompréhensions et des tensions, notamment sur les grands projets comme le méthaniseur de Corcoué-sur-Logne.
2. Partager les perceptions visuelles
Que voient les habitants dans leur quotidien ? Une église, un champ, une forêt, une route ? Et de l’autre côté, que perçoivent les développeurs ? Transformer ces visions en outils visuels (photomontages, cartes, parcours commentés) permet de nourrir le débat. Dans notre quotidien de consultants, nous constatons que les supports cartographiques suscitent un intérêt énorme auprès du public de tous horizons, ce que de nombreux chercheurs, tels Jacques Pertin dès 1967 ou Jean-Christophe Plantin en 2014, avaient déjà prouvé. Ces outils peuvent révéler des points de convergence et donner un sens plus partagé au projet.
3. Dépasser le compromis facile
Un compromis “mou”, visant à contenter tout le monde sans réelle réflexion, est souvent contre-productif. Mieux vaut aller au-delà : s’interroger sur les valeurs attachées au paysage et chercher des solutions innovantes. Par exemple, faut-il déplacer une éolienne ou, au contraire, valoriser un élément patrimonial dans le champ de vision, comme un lavoir ou une église ? Chez Demopolis, nous avons souvent géré ce type de situations : il y a deux ans, un client nous a sollicités pour un projet éolien bloqué. Nous avons relancé un véritable dispositif de concertation, rencontré les parties prenantes et réorganisé le projet. Aujourd’hui, ce projet a reçu un avis favorable de l’enquêteur public après le déplacement d’une éolienne.
4. Créer de l’enthousiasme
Ce terme est devenu presque un gros mot : enthousiasme. Surtout associé à un projet éolien. Pourtant, l’arrivée de projets transformateurs amène souvent son lot de peurs et de réticences. Il est alors plus simple de parler d’acceptabilité, bien que ce concept présente des limites. Patrick Jolivet, directeur des études socio-économiques à l’ADEME, présentait en 2022 un triptyque prometteur : « désirabilité, faisabilité et conditions de réalisation ». Ces éléments, alliés aux points précédents, permettent de cultiver un enthousiasme réel et durable. Nous rencontrons sur le terrain des habitants motivés, disponibles et souriants, qui ne demandent qu’à être entendus.
Pour un paysage partagé
Intégrer le paysage dans les projets d’aménagement demande de dépasser les approches purement techniques et utilitaires. En créant des espaces d’échange authentiques, en partageant des perceptions variées et en cherchant des solutions créatives, il devient possible de construire des territoires où chacun peut se retrouver. Le paysage, qu’il soit ordinaire ou extraordinaire, mérite cette attention pour rester une richesse collective. La concertation trouve alors tout son sens en offrant un cadre sécurisant, organisé et enthousiasmant. Alors, pouvons-nous espérer voir un jour une multiplication des ateliers paysagers dans les communes et des plans de paysage où chacun se retrouverait autour de la table pour parler de sa vision du territoire ? Alors que les Plans de mobilité ou les PCAET sont monnaie courante, on perçoit encore que l’émotionnel lié au paysage doit rester loin de la table de l’aménagement.
Anaëlle RAPET, consultante confirmée Demopolis Concertation (janvier 2025)
Publication à retrouver en ligne :
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