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30 septembre 2020

[Une brève histoire du temps (en concertation) – ou comment laisser du temps au temps peut vous en faire perdre… beaucoup !]

Qu’il s’agisse de concertation réglementaire ou volontaire, pour des projets de planification territoriale ou d’infrastructure, les professionnels de la concertation sont par essence aguerris à l’accompagnement de projets au long cours. Ils ont appris à gérer les phases actives et celles plus creuses, liées à la vie des études techniques notamment, en trouvant le subtil dosage dans leurs actions locales pour éviter l’essoufflement des publics (m)a(l)menés par la force des choses à suivre des projets sur 2, 3, 4 années voire davantage. Cette situation était connue, acceptée, et traitée comme il se doit. Après tout, c’est un métier !

Mais depuis plus d’un an désormais, force est de constater des dérives… et un paradoxe, aux effets trop souvent dévastateurs pour les projets comme pour la société.

Dérives tout d’abord. A l’approche des élections municipales, des porteurs de projet ont – de leur propre chef ou sur demande des élus parfois – gelé délibérément la concertation au-delà des délais réglementaires et surtout au-delà du raisonnable, s’imposant des devoirs de réserve démesurément longs.

Et puis il y a eu les grèves de décembre, faute de pouvoir se déplacer, les démarches se sont figées. Et puis le 1er tour des élections municipales, et puis le confinement, et puis le 2nd tour des élections municipales, et puis les prises de fonction des édiles du bloc communal, et puis les vacances, et puis la rentrée avec la résurgence de l’épidémie de Covid…

Entre prudence plus ou moins légitime et contraintes en rafales, on découvre… qu’il ne s’est quasiment rien passé depuis plus d’un an.

Paradoxe, ensuite. Tandis que les projets s’étirent et les démarches s’étiolent, la vie sur les territoires suit son cours, voire s’accélère. Qu’on habite au cœur d’une métropole ou à la campagne, les connexions aux actualités et réseaux sociaux, renforcées par le confinement du printemps, sont désormais la normalité et les informations circulent et se succèdent dans une instantanéité quasi-totale.

Entre temps long des projets et rapidité des modes de communication, entre concertations passées en « mode silencieux » et réseaux sociaux affolés, deux univers cohabitent dans des réalités parallèles, poursuivant leurs cours respectifs à des rythmes diamétralement opposés. Et cela n’est pas sans conséquence pour les projets, loin de là.

Sans communication actualisée et disponible au moment opportun, le territoire se rendra à la pêche aux informations : sur la toile, il y a fort à parier que les données récoltées seront au mieux erronées, au pire… à charge. Et le climat actuel jalonné par les tensions et violences qui s’accroissent dans une société chaque jour plus anxieuse augmentent encore ce phénomène.

Sans poursuite de la concertation et lien régulier avec le territoire, celui-ci se sentira oublié, voire abandonné, par un porteur de projet en qui il n’aura bientôt plus confiance (confiance déjà bien ébranlée envers tout ce qui représente l’autorité : l’Etat, les élus, les entreprises, etc.). L’enthousiasme pourtant nécessaire à l’engagement des participants dans des projets de longue haleine aura lui aussi disparu. Comment dès lors raviver la flamme du dialogue et de la concertation avec ce temps perdu ?

Ces causes et conséquences, certes conjoncturelles, surfent toutefois sur des courants de fond sociétaux qui favorisent un repli sur soi de plus en plus généralisé… Abandon de grands projets d’infrastructures devenus « gênants » car mis à mal par une opposition pourtant minoritaire (bien que très active), digitalisation accélérée par la crise sanitaire qui (passés les soutiens publics et applaudissements nocturnes) détériore le lien social, manque de culture du dialogue social qui se solde par un rejet de principe de tout ce qui vient « d’en-haut »… Entre délai opportuniste et évolutions sociétales, attendre pour concerter fait peser un risque de plus en plus important sur les projets : le risque n’est plus seulement technique et économique, il est désormais démocratique.

La partie en serait-elle perdue d’avance ? Pas forcément, mais rétablir le dialogue et la confiance avec un territoire prend du temps. En essayant de vous en ménager un peu, vous pourriez ainsi en perdre beaucoup. Pas seulement l’année écoulée, mais aussi l’année à venir pour retisser un lien social et la confiance. Et si rétablir le dialogue prend du temps, il exige enfin et surtout du courage ainsi que la conviction inébranlable que concerter, c’est bien plus que co-construire un projet avec son territoire. Concerter, c’est faire société. Et nous en avons bien besoin !

Lorette HAFFNER, associée chez Demopolis Concertation (septembre 2020)

Publication à retrouver en ligne : https://www.linkedin.com/pulse/une-br%C3%A8ve-histoire-du-temps-en-concertation-ou-comment-haffner/